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Présence militaire Française au Tchad : pourquoi la décision du Gouvernement du Tchad fait autant réagir ?

Photo du rédacteur: ousman896ousman896

 

Le Tchad est un pays « qui est resté un terrain de jeu pour l’armée française. Le Tchad est le pays d’Afrique qui a connu le plus grand nombre d’interventions militaires françaises depuis l’indépendance en 1960. L’armée française est bien plus qu’une puissance extérieure qui ne serait venue que pour résoudre des « crises » : elle a été et reste encore un acteur à part entière de la politique tchadienne et des conflits que le pays a connus(…) »

 

Contexte historique

 

En 1976, la France a conclu avec le Tchad un « accord de coopération militaire technique ». C’est en vertu de cet accord que la France, entre 1983 et 1984, engage l’opération « Manta » pour venir en aide au feu Hissein Habré[1], chef du gouvernement tchadien, dans le cadre du conflit qui l’oppose à la Libye du défunt Mouammar Kadhafi[2],[3],[4].

 

En effet, le 21 juin 1983, des forces libyennes ont en effet franchi la frontière nord du Tchad et foncent vers la capitale N’Djamena, confirmant les ambitions « expansionnistes » de Kadhafi. Par son soutien logistique et le travail des instructeurs français pour former les Forces armées nationales tchadiennes, l’opération « Manta » finit par mettre sur pied un groupement de 3 000 hommes pour combattre l’avancée des troupes libyennes.

 

« (…), je n’accepte pas la possession du Tchad par la Libye, je la dénonce. Je dénonce également cette occupation-là. Mais enfin, je répète, plus personne n’en parle. Celle-ci, en droit, requiert de l’autorité et de la souveraineté du Tchad. En fait, il y a en effet des occupations militaires. Je ne suis pas chargé de dire le droit. Ce que je peux vous dire, c’est que la France n’acceptera jamais politiquement et juridiquement cette amputation d’un État africain. Mais je ne suis pas chargé, mais je ne suis pas le gendarme de l’Afrique. L’armée française n’est pas chargée de cela, il appartient d’abord au Gouvernement du Tchad, ensuite à l’Organisation Africaine de reconquérir si elle le désire[5] ».

 

Même si Mitterrand avait longuement expliqué l’histoire des interventions françaises dans ce pays ces dernières années, c’est-à-dire sous son septennat et sous les septennats précédents[6], Peu de choses distinguent alors la politique étrangère de Mitterrand de celle de ses prédécesseurs[7]. D’ailleurs, ses successeurs respectifs ne sont pas du reste.

 

En effet, le Tchad est le pays où l’armée française a mené le plus d’opération extérieur. À lui seul, il était presque le dépositaire de la relation militaire franco-africaine, avec ses trois bases historiques : le camp Kosseï, Faya Largeau et Abéché. Mille soldats sont déployés sur le territoire et une base aérienne avec plusieurs Mirage 2000. Des militaires présents non pas dans le cadre d'une présence permanente mais d'une opération extérieure. Autrefois appelée « Opération Epervier », mais qui par soucis de discrétion ne porte plus de nom aujourd'hui[8].

 

Pour rappel, les éléments français au Tchad (EFT) de la force Épervier assurent deux missions permanentes :

 

·         ils garantissent la protection des intérêts français et, tout particulièrement, la sécurité des ressortissants français résidant au Tchad. En 2004, l'opération Dorca est venue se greffer sur l'opération Épervier ;

·         conformément à l’accord de coopération technique signé entre la France et le Tchad, ils apportent un soutien logistique (ravitaillement, carburant, transport, formation) ainsi qu’un appui de renseignement aux forces armées et de sécurité (FADS) tchadiennes. Ils peuvent également être amenés à apporter leur soutien à des contingents internationaux. A titre d’illustration, de mars 2008 à mars 2010, les EFT ont pleinement participé à la mission européenne EUFOR Tchad/RCA puis à la mission de l’ONU, la MINURCAT, pour contribuer au soutien de la paix entre les deux pays, assurer la protection des populations civiles et favoriser le travail des ONG dans les camps de réfugiés et de déplacés situés à l’est du Tchad et au nord-est de la RCA[9].

 

La décision de de Gaulle est-elle plus légitime que celle de MIDI ?

 

Il faut rappeler que le 7 mars 1966, le général de Gaulle, président de la République, informe son homologue américain, le président Lyndon Johnson, que la France a décidé de se retirer du commandement intégré de l’OTAN et de demander, en conséquence, le départ des forces armées américaines et canadiennes installées sur le territoire français[10].

 

Rappelons qu’en 1966, l’OTAN, créée en 1949, compte 15 membres, dont la République Fédérale d’Allemagne, contre 28 aujourd’hui. Depuis 1952, son siège est à Paris. Son commandement intégré est composé d’un Commandement allié Opérations, chargé de la planification et de l’exécution de toutes les opérations de l’alliance, d’un Commandement allié Transformation, chargé de la stratégie de combat. Ces structures de commandement sont placées sous l’autorité du Comité militaire où siègent les chefs d’états-majors de la défense des pays membres de l’Alliance.

 

Dans la lettre adressée au président des Etats-Unis, De Gaulle ne remet pas en cause l’appartenance de la France à l’Alliance Atlantique et affirme même son attachement à l’Alliance ; mais il estime que celle-ci ne doit pas aliéner les états-membres à la volonté et aux intérêts des Etats-Unis :

 

« Notre alliance atlantique achèvera dans trois ans son premier terme. Je tiens à vous dire que la France mesure à quel point la solidarité de défense ainsi établie entre quinze peuples libres de l’Occident contribue à assurer leur sécurité et, notamment, quel rôle essentiel jouent à cet égard les Etats-Unis d’Amérique. Aussi, la France envisage-t-elle, dès à présent, de rester, le moment venu, partie au traité signé à Washington la 4 avril 1949. (…) »

 

Cependant, la France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe, en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces, ne justifient plus, pour ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’alliance soit en commun sous la forme de conventions multilatérales, soit par accords particuliers entre le gouvernement français et le gouvernement américain.

 

« C’est pourquoi la France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre ses forces à la disposition de l’OTAN ». Ici, il est facile de comprendre les raisons qui ont motivé la décision de de Gaulle. Elles sont relatives à la question si chère aux Etats en l’occurrence la « SOUVRAINETE ».

 

Or, la décision du Gouvernement Tchadien est motivée par les mêmes raisons quasiment. En effet, après le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Sénégal ainsi que le Tchad ont décidé de rompre les accords de défense avec la France ; avec une approches moins « radicale » que les trois premiers.

 

Par ailleurs, la décision des autorités Tchadiennes s’appuie sur plusieurs « facteurs » notamment :

 

·         Absence de réciprocité : La présence militaire française au Tchad ne se fonde pas sur une base réciproque. Le Tchad ne doit plus accepter aux autres ce qui ne lui est pas accepté par ces autres. C’est le sacré principe de réciprocité.

 

·         Nécessité de réparation : Il est désormais primordial pour le Tchad de réparer les imperfections dans ses relations internationales. Choisir en toute Indépendance les formes et les partenaires de sa coopération internationale selon ses priorités nationales.

 

 

·         Renforcement de nos capacités : cette rupture fait partie de notre volonté de bâtir une armée tchadienne en phase avec toutes ses responsabilités, plus autonome, plus engagée et plus responsable dans l’accomplissement de sa mission régalienne de défense de la patrie[11]

 

Toutefois, «le Tchad continuera de jouer tout son rôle et d’occuper toute sa place au sein des initiatives de renforcement de la paix et de la sécurité sur le continent africain.» Mais, les accords de coopération militaire avec la France étaient devenus «complètement obsolètes, complétement obsolètes» et ne correspondent plus «aux réalités politiques et géostratégiques de notre temps», évoquant notamment «des attaques de dimension terroriste» auxquelles le pays fait face.

 

Evidemment, il n’est pas question de remplacer naïvement une puissance militaire par une autre. Au contraire, « le Tchad n’est nullement dans une logique de remplacement d’une puissance par une autre, encore moins dans une approche de « changement de maître ».

 

« Notre pays croit avec foi en sa capacité de défendre son intégrité et assurer la sécurité de ses citoyens et leurs biens. Cette décision constitue donc un acte souverain, mûrement réfléchi, entièrement assumé, visant à renforcer notre indépendance nationale et répondre à un engagement fort pris devant le peuple tchadien[12]

 

Fin de la Françafrique?

 

L’expression « Françafrique », généralement connotée péjorativement, désigne une relation qualifiée de néocoloniale par ses détracteurs, entre la France et d'anciennes colonies en Afrique subsaharienne sur les plans économiques, monétaires, diplomatiques ou militaires[13].

 

Initialement utilisé par des intellectuels français pour défendre l'idée que la puissance française après la seconde guerre mondiale devrait s'appuyer sur une forme renouvelée de son empire colonial en Afrique, le terme est devenu par la suite un concept d'analyse critique de la politique française sur le continent, avec la complicité des élites locales, suite aux travaux de François-Xavier Verschave et de l'association Survie.

 

L'usage du néologisme Françafrique, avec un sens péjoratif, s'est développé après la parution en 1998 du livre de François-Xavier Verschave (1945-2005), « la Françafrique, le plus long scandale de la République », ainsi que sous l'impulsion de l'association Survie, dont l'auteur fut l'un des membres fondateurs, pour dénoncer la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies africaines ainsi que dans quelques autres pays du continent.

 

Le terme Françafrique désigne l'ensemble des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines pour en dénoncer le caractère ambigu et opaque. Elle serait constituée de réseaux d'influence et de lobbies d'acteurs français et africains intervenant dans les domaines économique, politique et militaire pour détourner à leur profit les richesses liées aux matières premières ainsi que l'aide publique au développement.

 

« La logique de cette ponction est d'interdire l'initiative hors du cercle des initiés. Le système, autodégradant, se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie. Le terme évoque aussi la confusion des genres, une familiarité domestique louchant vers la privauté.[14] »

 

 Ce système trouve son origine avec la mise en place à l'Élysée d'une cellule aux affaires africaines, mise en place par le général de Gaulle, avec à sa tête Jacques Foccart (1913-1997), surnommé « Monsieur Afrique ». Le concept prête à la France une attitude néocolonialiste envers ses anciennes colonies devenues indépendantes.

 

« A partir du tournant des années soixante, un système a été mis en place pour continuer à opprimer les pays africains qui venaient d'accéder à leur indépendance vis-à-vis de la France. Ce système est constitué par des réseaux qui ont été développés et entretenus pour continuer comme avant. C'est la suite de la colonisation qui se poursuit sous d'autres modes. Or, le système de la colonisation était quand même bel et bien le système d'appropriation des richesses de l'Afrique par des étrangers. Et on a toujours continué, en s'alliant avec un certain nombre de responsables africains : ce sont les amis de la France... [15]»  Il s'accompagnerait d'un processus de sélection des dirigeants africains et de soutiens apportés à des dictateurs, au moyen d'interventions militaires, de la guerre, d'éliminations, de fraudes électorales, etc., que ces actions soient avérées ou pas[16].

 

Mais le terme aurait été utilisé pour la première fois par le journaliste français Jean Piot dans le journal l'Aurore le 6 juin 1945 d'abord, où « la cohésion du bloc France-Afrique » est présentée comme fondamental à la puissance française, puis le 15 août 1945 où le journaliste propose la création d'un système comparable au Commonwealth du Royaume-Uni avec ses anciennes colonies, qu'il propose d'appeler « Françafrique ». Le journaliste Thomas Deltombe, qui a révélé cette généalogie dans le livre « L'Empire qui ne veut pas mourir - une histoire de la Françafrique » indique aussi la « co-paternité » du député français Jacques Bardoux qui défend d'abord dans l'Événement le 20 novembre 1954 puis à d'autres occasions « la France-Afrique » comme aspect important de la puissance française[17].

 

Par ailleurs, il convient de souligner que « la Françafrique a su évoluer intelligemment, elle s'est mis une belle cravate par souci de respectabilité mais, dans le fond, rien n'a changé. Et pourtant chaque nouveau locataire de l'Élysée tient à annoncer solennellement que la Françafrique, c'est fini ![18] »

 

En tout état de cause, ce concept apparait comme la dissimulation et la persistance du néocolonialisme français en Afrique. Elle désigne une domination à caractère politique, économique, militaire et culturelle…, dont la France dispose sur les appareils d'États de son « giron africain »[19].

 

En outre ce système appelé « Françafrique » porte sur plusieurs aspects entre autres : politique, économique, financier, monétaire, culturel, militaire sur lequel nous avons consacré une contribution antérieurement[20].

 

Toutefois, qu’il s’agisse du Tchad ou des autres pays africains, la présence militaire française ne doit aucunement servir de prétexte pour verser dans le populisme ou la démagogie. Il est essentiel de rappeler que nos principaux problèmes sont liés à la mauvaise gouvernance avec ses corolaires : la corruption généralisée, l’injustice sociale, la pauvreté, le chômage des jeunes entre autres.

 

 

 

 

 

 


[1] Paix à son âme.

[5] François Mitterrand.

[6] Ibid.

[7] Marielle Debos, La France au Tchad, l’opération militaire permanente ; P. 543 à 552. Voir aussi https://shs.cairn.info/l-empire-qui-ne-veut-pas-mourir--9782021464160-page-543?lang=fr

[8] Voir Fin de l’accord militaire Tchad-France: les questions en suspens après l’annonce de Ndjamena, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20241129-fin-de-l-accord-militaire-tchad-france-les-questions-en-suspens-apr%C3%A8s-l-annonce-de-ndjamena

[11] Voir le discours du Président de la République du Tchad. https://presidence.td/point-de-presse-du-president-de-la-republique/23296/

 

[12] Ibid.

[14] François-Xavier Verschave - La Françafrique. Le plus long scandale de la République, avril 1998,  éd ; stock, p 384 ; pp175.

[15] Ibid.

 

[19]  ISMAËL TRAORÉ, MEMOIRE DE MASTER 2 EN SCIENCES POLITIQUES:LA FRANÇAFRIQUE EN 2018: ÉTAT DES LIEUX, P26. Voir https://archipel.uqam.ca/12676/1/M16065.pdf

 
 
 

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