II. La matérialisation des stratégies du G5 Sahel
Nous examinerons tour à tour la mise en œuvre des stratégies du G5 Sahel (A) et la coordination de celles-ci (B).
A. La mise en œuvre des stratégies du G5 Sahel
Elle repose sur les différents organes statutaires du G5 Sahel définis dans la Convention portant création du G5 Sahel. Il s’agit de la Conférence des Chefs d’Etat, du Conseil des Ministres, du Secrétariat Permanent, du Comité de défense et de sécurité et des Comités Nationaux de Coordination.
La Conférence des Chefs d’Etat composée de tous les Chefs d’Etat membres est l’organe suprême de décision et fixe les grandes orientations et les options stratégiques. Elle assure également la tutelle politique et la gestion des interfaces politiques de toutes les actions de développement et de sécurité des pays du G5 Sahel.
Le Conseil des Ministres qui réunit les ministres en charge de l’Economie et du Développement, est l’organe statutaire de mise en œuvre de la politique_stratégie du G5 Sahel, telle que définie par la Conférence des Chefs d’Etat et assure le pilotage et l’impulsion stratégique.
Le Secrétariat Permanent, qui est une structure légère, est chargée de veiller à la mise en œuvre de la stratégie pour le développement et la sécurité et d’en assurer le suivi et l’évaluation. Il a aussi pour mission de mettre en œuvre la stratégie de mobilisation des ressources financières pour le financement. Le Secrétariat Permanent est la cheville ouvrière du dispositif. Il comprend une équipe d’experts multisectoriels et s’appuie sur les Comités Nationaux de Coordination. Les Comités Nationaux de Coordination à travers leurs Experts sectoriels devront rédiger périodiquement des rapports sur l’état de mise en œuvre de la stratégie.
Le Comité de défense et de sécurité regroupant les Chefs d’Etat-major généraux des armées et les hauts responsables de la sécurité dûment mandatés est en charge des questions de sécurité des pays membres du G5 Sahel. Alors, dans chaque pays membre du G5 Sahel, il est mis en place un Comité National de coordination placé sous la tutelle du ministre de tutelle du G5 Sahel. Le Comité national de coordination est composé d’experts nationaux sectoriels qui sont chargés du suivi de la mise en œuvre des programmes et projets dans leurs secteurs respectifs.
La stratégie est principalement mise en œuvre à travers le Programme d’Investissements Prioritaires (PIP). Les Etats membres en collaboration avec les Partenaires Techniques et financiers (PTF) du développement, le secteur privé et les Organisations de la Société Civile (OSC) impliquées dans la mise en œuvre des différents axes stratégiques exécutent le Programme d’Investissement Prioritaire à travers ses programmes et projets sectoriels et produisent des rapports de suivi destinés à informer sur le déroulement des activités de sécurité et de développement.
Conformément aux principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’Aide Publique au Développement, le système de suivi-évaluation répond aux exigences de la Gestion Axée sur les Résultats (GAR). Les opérations de suivi auront pour objectifs d’identifier les tendances et les schémas qui se dessinent, d’adapter la stratégie et de guider la prise de décisions relatives à la gestion des programmes. Elles se feront à travers la collecte et l’analyse systématique de l’information pour suivre les progrès réalisés par rapport aux plans établis et vérifier leur conformité avec les normes établies. Le suivi est participatif, c’est-à-dire qu’il convient d’y associer les parties prenantes clés.
L’évaluation de la stratégie aura pour but d’avoir une appréciation systématique et objective des programmes, de leur conception, de leur mise en œuvre et de leurs résultats. Le but est de déterminer la pertinence et l’accomplissement des objectifs, l’efficience en matière de développement, l’efficacité, l’impact et la durabilité. Elle devrait fournir des informations crédibles et utiles permettant d’intégrer les leçons de l’expérience dans le processus de décision. Cela permettra de mettre en évidence les effets de ce qui a été réalisé, de mener une réflexion sur ces effets et d’en estimer la valeur. Les constatations auxquelles elles aboutissent permettront aux différentes parties prenantes de tirer des enseignements et d’améliorer les interventions futures.
En effet, le dispositif de suivi-évaluation de la stratégie comprend :
au niveau régional, le Secrétariat Permanent à travers sa structure interne de suivi- évaluation ;
au niveau des Etats membres, les Comités Nationaux de Coordination, les services de suivi- évaluation des ministères techniques en charge des programmes et projets, les unités de gestion des projets à différents niveaux ;
les partenaires techniques et financiers selon leurs procédures en harmonie avec les Etats membres et le G5 Sahel.
La communication constitue un des facteurs clés et stratégiques pour susciter et accompagner les initiatives de développement et de sécurité. Toute stratégie de communication doit tenir compte des objectifs de développement et de sécurité et mettre en place des outils de communication adéquats pour atteindre les changements souhaités dans les connaissances, les attitudes et les comportements des individus et groupes concernés.
Cela contribuera à mettre en place un dispositif/système d’information, de formation et de sensibilisation en direction de l’ensemble des parties prenantes sans exclusive, en vue de vulgariser les résultats et de susciter leur pleine participation au processus de mise en œuvre et du suivi de la Stratégie pour le Développement et la Sécurité. De façon spécifique, il s’agira de faciliter l’accès aux informations de qualité avec des contenus multimédias susceptibles d’influencer positivement les conditions de vie des populations sahéliennes, toutes couches sociales confondues, et impulser le développement et la sécurité. Pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’organiser des campagnes de sensibilisation visant toutes les populations cibles. Les réseaux traditionnels (chefs coutumiers et religieux, leaders communautaires), les radios de proximité et les nouvelles technologies de l’information seront mis à contribution.
La construction d’un environnement paisible, sécurisé et stable de développement et d’épanouissement individuel et collectif des populations sur l’ensemble de l’espace des pays du G5 Sahel est un impératif. Les enjeux sont de taille, car ils participent de la cohésion des communautés et des perspectives de développement économique et social comme remparts fortifiés contre la pauvreté, l’insécurité alimentaire, le faible accès aux services sociaux de base et l’insécurité.
La Stratégie pour le Développement et la Sécurité du G5 Sahel est sans conteste, une manifestation de l’exercice de conscience politique des Etats, face aux grands défis qui se posent dans la construction de nations plus fortes économiquement, plus solidaires socialement, plus rayonnantes culturellement et irréversiblement ancrées dans les valeurs de paix, de démocratie, de justice et de respect de la dignité humaine.
La Stratégie pour le Développement et la Sécurité du G5 Sahel est également un appel à tous les partenaires au développement et à toutes les parties prenantes à la résolution de la problématique de sécurité et de développement à conjuguer leurs efforts dans cette dynamique de mobilisation contre la pauvreté et l’insécurité. Les efforts à consentir sont certes immenses, mais ils sont à la mesure des besoins des populations et des attentes des acteurs économiques et sociaux dont les investissements et les diverses interventions constituent des opportunités majeures pour le bien être individuel et collectif.
Au regard des axes prioritaires qui soutiennent cette stratégie, elle présente un caractère intégré dans la prise en charge de la problématique de développement et de sécurité. Elle cible la question fondamentale de la sécurité dans un contexte régional et transfrontalier et la traite dans une optique de prévention et de gestion de toutes les situations d’insécurité. La Stratégie pour le Développement et la Sécurité du G5 Sahel met aussi l’accent sur la réalisation des infrastructures favorables à l’accélération de l’intégration économique régionale, la résilience et le développement humain pour contrer les aléas de l’insécurité alimentaire et la promotion de la gouvernance dans toutes ses dimensions. La finalité de la Stratégie pour le Développement et la Sécurité est de lutter contre l’expansion de l’économie criminelle en réduisant significativement la pauvreté et en agissant sur les domaines qui influencent positivement le développement économique et social.
B. La coordination des stratégies du G5 Sahel
La forte mobilisation de la communauté internationale autour de la situation politique, sécuritaire et humanitaire dans le Sahel a souvent eu comme point de départ l’élaboration de documents d’orientation connus sous l’appellation « stratégies Sahel ». L’ampleur de la mobilisation est remarquable mais pose dans le même temps la question de la coordination pour assurer une meilleure réalisation des programmes et des projets visant à améliorer le quotidien des populations sahéliennes.
Les termes « stratégies » ou « initiatives » Sahel recouvrent en réalité une diversité de documents de portée ou de vision stratégique développés par des organisations multilatérales, des États, des groupes d’États ou des réseaux opérant dans le Sahel, région désignant des espaces dont les contours varient en fonction des acteurs[1].
Le panorama des stratégies et initiatives n’est donc pas figé : de nouvelles initiatives de coordination sont régulièrement lancées, des documents stratégiques sont produits par de nouveaux acteurs soucieux de développer de nouveaux programmes, tandis que les stratégies existantes sont régulièrement mises à jour. En outre, les processus se trouvent à des degrés divers d’avancement et de mise en œuvre.
En effet, coordonner les diverses stratégies dans le Sahel permettra aux partenaires et bailleurs de fonds de renforcer leur légitimité en répondant aux menaces complexes de sécurité et de développement dans la région. La conférence des donateurs sur le Mali et les réunions de la plate-forme de coordination internationale pour le Sahel ; ainsi que les différents sommeils entre les pays du G5 Sahel et les bailleurs ont permis de faire le point sur la dizaine d’organisations internationales et bailleurs de fonds qui tentent de mettre en œuvre leurs stratégies Sahel pour répondre aux menaces complexes de sécurité et de développement dans la région.
Selon Madame Hiroute Guebre Sellassie [2]: « la coordination des acteurs régionaux et internationaux intervenant au Sahel est la clé du succès des différentes initiatives en faveur de cette région. C’est le message que veut faire passer le Secrétaire Général de l’ONU. » Car, le manque de coordination est souvent citée comme un défi dans plusieurs stratégies, qui à leur tour ont proposé leurs propres mécanismes de coordination. Ce qui n’est pas sans risques quand on sait que les bailleurs de fonds n’ont pas forcément le même agenda que les Etas concernés par les financements.
Par ailleurs, des mécanismes de coordination ont également été proposés en dehors des stratégies existantes. Le regroupement du G5 de cinq (5) Etats du Sahel est un exemple récent de nouveaux formats de coopération. Plusieurs stratégies proposent différents mécanismes de coordination internes, notamment ceux de l’ONU et de la CEDEAO, et des efforts de visibilité peuvent être observés par les autres groupements régionaux. La cohérence et la coordination entre ces acteurs continentaux et régionaux reste cependant à trouver.
Compte tenu de la variété des cadres de coordination, le risque de duplication ne peut être exclu. La principale question est de savoir comment les différents mécanismes de coordination construiront leur légitimité au fil du temps. Toutefois, la coordination des stratégies est importante car elle améliore la mise en œuvre, en utilisant les ressources disponibles de manière plus efficace pour améliorer la vie des gens. En effet, plusieurs modalités de coordination sont apparues au fil du temps:
La première correspond à la logique du « premier arrivé, premier servi », dans laquelle certains acteurs prennent des initiatives régionales en dehors des cadres de coordination existants, et réussissent à attirer des fonds disponibles grâce à leur soutiens politiques. C’est déjà le cas dans le domaine des coopérations dans la recherche et l’analyse collective des problématiques sahéliennes.
Le deuxième format est celui, bureaucratique, formel et hiérarchique, des mécanismes de coordination institutionnalisés qui sont censés aider à clarifier l’agenda de toutes les parties prenantes. Ce format peut apparaître nécessaire pour éviter les doubles emplois et par exemple régir la division des tâches entre grands projets transfrontaliers d’infrastructure.
La troisième modalité de coordination consiste en des « coopérations renforcées » au sein d’un groupe restreint d’Etats qui souhaitent avancer ensemble. Une telle approche a prévalu dans le passé pour résoudre les problèmes de sécurité les plus sensibles et est déjà appliquée dans une certaine mesure dans le domaine de l’échange de renseignements au sein du G5 Sahel.
Aussi, les dynamiques régionales actuelles peuvent aussi très bien conduire à une absence totale de coordination, avec des concurrents ou des « empêcheurs de tourner en rond » qui s’emploieront à empêcher toute coopération régionale efficace de décoller.
Il convient toutefois d’éviter deux écueils. Le premier serait de réduire le G5 Sahel à un simple forum de chefs d’États ou de ministres. Le second consisterait à vouloir lui attribuer une compétence sur des dossiers ne relevant ni du transnational, ni de la coopération régionale, avec pour conséquence de nourrir un accroissement des personnels et des coûts de fonctionnement sans réelle pertinence opérationnelle. Par ailleurs, l’autre atout du G5 Sahel se trouve dans la multiplication ses coopérations et des partenaires.
Prochainement…, « Un large éventail de coopérations ».
[1] Stratégies Sahel : L’impératif de la coordination. Note d’analyse de Damien Helly, Lori-Anne ThérouxBénoni, Greta Galeazzi, Ibrahim Maïga et Fatimata Ouédraogo ; ISS mars 2015. Disponible sur https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/uploads/PolBrief76Fr.pdf .
[2] Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour le Saheln ( mai 2014).
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