L’être humain, indépendamment de sa condition sociale, bénéficie d’un certain nombre de droits « inhérents à sa personne, inaliénables et sacrés », et donc à priori erga omnes. Ces droits dits humains font partie de ceux-là dont l’individu peut se prévaloir indépendamment de sa race, sexe, nationalité, origine ethnique, langue, religion, ou toute autre considération. Quelle que soit sa déclinaison culturelle ou historico-politique, le respect de ces droits reste un principe universel[1].
L’année 2020, marquera l’histoire du monde par la crise sanitaire née de la pandémie de COVID-19. Cette crise sanitaire partie de Chine, selon une étude du 15 février 2021, sur un total de 103,6 millions d'infections liées au virus dans le monde, 2,4 millions sont à ce jour décédé, dont 78.965 en France. Avec 497.174 morts, ce sont les États-Unis qui dénombrent le plus de victimes[2].
Face à cette situation inédite qui a impacté quasiment tous les secteurs de la vie socioéconomique, les États ont d’abord essayé de se barricader, le temps d’une meilleure compréhension de cet ennemi commun, ainsi que la mise au point de quelques vaccins, afin de mieux lutter contre le virus.
Le sujet COVID -19 les violences basées sur le genre trouve, ainsi, toute sa pertinence au regard de l’ampleur de la crise et de ses conséquences un peu partout dans le monde. Dès lors, au regard de certaines mesures dictées ou justifiées par l’urgence et jugées liberticides, on pourrait se demander dans quelle mesure la gestion de la pandémie de la COVID-19 a pu occasionner autant des violences sur les femmes.
Par le biais de l’écriture, nous souhaitons donc faire abstraction du caractère exclusivement sanitaire de cette crise mondiale ; nous n’aborderons donc ni de virus, ni de contagion et tenterons de nous limiter à l’approche de certaines dérives très graves que celle-ci a pu provoquer notamment dans les foyers domestiques.
En effet, le confinement et les autres mesures limitant la circulation des personnes contribuent à une augmentation de la violence fondée sur le genre, une conclusion confirmée par les médias[3], plusieurs déclarations officielles[4] et des informations recueillies par les présences du HCDH sur le terrain et les défenseurs des droits humains de nombreux pays.
La violence à l’égard des femmes et des filles touche toutes les régions est très largement sous-reportée, aussi bien dans les contextes stables que dans les situations d’urgence. Les données récentes indiquent que cette violence est en augmentation substantielle en cette période de la pandémie du COVID19[5]. Les mesures mises en place pour lutter contre la pandémie, telles que le confinement et la distanciation physique, qui ont des répercussions sur les moyens de subsistance et l’accès aux services, sont susceptibles d’accroître les risques de violence à l’égard des femmes et des filles. On peut citer, par exemple, les difficultés sanitaires et financières qui pèsent sur les ménages, notamment la perte de moyens de subsistance ou de revenus pour les femmes, l’accès restreint aux services de base et la capacité limitée à sortir d’une situation abusive; le stress lié à l’isolement social et/ou aux quarantaines; et les femmes confinées avec des partenaires violents qui pourraient se servir des restrictions liées à la crise de COVID-19 pour exercer encore plus de pouvoir et de contrôle sur elles. Certains rapports indiquent que les appels aux numéros d’écoute consacrés à la violence domestique, à la police et aux refuges sont en augmentation depuis le début de la pandémie[6]. Dans d’autres cas, les signalements, les appels et l’utilisation des services sont en baisse, car les femmes se retrouvent dans l’incapacité de quitter leur domicile ou d’accéder à une aide par Internet ou par téléphone[7].
Les services nécessaires aux victimes ne sont parfois plus considérés comme prioritaires, notamment les centres d’accueil, les services de santé, les services de police et les services judiciaires. Selon certaines informations, des centres d’accueil pour survivantes de la violence fondée sur le genre ferment leurs portes ou sont transformés en refuges pour les sans-abri, certaines lignes téléphoniques d’urgence ont des services réduits, et plusieurs cliniques mobiles et services de conseils sont annulés.
Dans certains pays africains où il est très difficile de faire des signalements pour diverses raisons, les femmes sont abandonnées à leur triste sort. Cette pandémie de COVID-19 a aggravé la situation des femmes et des filles, eu égard à tous les paramètres de la sécurité humaine - à savoir la sécurité économique, alimentaire, sanitaire, personnelle, communautaire, environnementale et politique. En effet, les situations de conflit, les épidémies et les pandémies ont toujours exacerbé les inégalités entre les sexes et la discrimination, ainsi que l'augmentation de la violence sexiste. La pandémie de la COVID-19 ne fait pas l’exception.
Les évidences exposées montrent par exemple qu’au Cameroun et au Mali, il y a eu une augmentation des cas de violence basée sur le genre pendant les périodes de confinement durant la pandémie de coronavirus (COVID-19). Selon Mabingue Ngom, Directeur régional de l’UNFPA pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre « les études croisées relatives aux Violences Basées sur le Genre menées en Afrique de l'Ouest et du Centre ont montré une forte corrélation entre la COVID-19 et la vulnérabilité socio-économique accrue des femmes et des filles, en particulier dans les sociétés à économie faible et informelle ».
Par ailleurs, selon le représentant de l’UNFPA Dr Eugene Kongnyuy, il y avait une augmentation de 35% de la violence basée sur le genre en avril 2020, avec 484 cas contre 317 en avril 2019. Il a noté que ces données ont été collectées auprès de 13 partenaires (2020), contre 32 prestataires de services de la même période en 2019. Il a noté que toutes les personnes interrogées voient des liens indéniables entre COVID-19 et la tendance à l'aggravation de la violence sexiste. La perturbation des activités génératrices de revenus et des services essentiels, y compris la fermeture des écoles, a exposé les femmes et les filles à l'exploitation sexuelle et au viol[8].
Selon une étude menée (dans trois 3 boutiques de droit à savoir Kaolack, Ziguinchor et Sédhiou) par l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS) et la Fondation Heinrich Böll, les femmes victimes des violences recensées dans ces boutiques de Droit de l’AJS représentent 43,8% avant COVID-19 (janvier à février) contre 56,2% durant la période COVID-19 (avril à mai) passant de 67 à 86 soit une augmentation de12,4%.
En période de pandémie, la demande d’assistance pour motif de violence économique a augmenté. Comparées aux nombres de cas en période avant COVID, les femmes sont deux fois plus victimes de violence économique en période COVID soit 64,9 % des cas enregistrés durant ces deux périodes. Parmi ces cas, 79,7% concerne le défaut d’entretien et 20,3% le refus de donner la dépense quotidienne ou la pension alimentaire. Il s’agit des manquements aux obligations des charges du ménage dus à la réduction des revenus du couple surtout du chef de ménage.
En plus des violences économiques (privation de ressources financières et maintien dans la dépendance), les données révèlent une recrudescence de violences physiques et psychologiques de la part de leurs partenaires masculins comparés à la période avant la COVID-19. Ainsi, il est remarqué en période COVID-19 plus de femmes victimes de violences psychologiques (soit 57,10%) et physiques (soit 58,30%) que pendant la période avant COVID où moins de 43% des femmes sont concernées par les violences psychologiques et 41,7% par des violences physiques. En effet, l’augmentation des violences physiques trouve un répondant dans le confinement et les restrictions de déplacement a favorisé l’isolement social et instaurent l’enfermement des femmes ou des filles avec leurs « agresseurs »[9].
Toutefois, même si la pandémie s’est traduite par l’accentuation des violences dans certains couples, les témoignages faits par certaines victimes en situation de violence révèlent également des situations de rapprochement de certains couples en difficultés suite à la COVID-19. Pendant les deux premiers mois de la COVID-19 où le couvre-feu est instauré, des couples ont eu l’opportunité de passer plus de temps ensemble. Ce qui a permis d’apaiser et/ou de renforcer leur stabilité. Dans les enquêtes, certaines victimes ont affirmé qu’il y a un impact positif du « semi-confinement » avec la présence du ou de la conjointe à des heures raisonnables.
« Durant la période de la COVID-19, la situation s’est améliorée parce que mon époux contribuait de plus en plus aux charges du ménage. Le fait de rester à la maison l’a poussé à donner la dépense quotidienne ». K.N. victime de violences économiques, Sédhiou
« La période de confinement nous a rapprochés, car la plupart des livraisons de marchandises que je devais faire, c’est lui qui s’en chargeait et il le faisait convenablement. », F.S., Victime de violences physiques, Boutique de droit de Pikine.
Les violences faites aux femmes sont multiples. Entre harcèlement en ligne, dans l’espace public ou sur le lieu de travail, violences sexuelles, psychologiques ou intrafamiliales,… aucune sphère de la vie n’est épargnée par l’insécurité qui peut y régner pour ces dernières.
La COVID-19 représente certes une gageure pour les systèmes de santé partout dans le monde, mais elle met aussi à l’épreuve l’esprit humain. Le relèvement doit faire naître un monde plus égalitaire et plus résilient face aux crises à venir. Des plans de relance budgétaire et des mesures d’urgence visant à combler les insuffisances en matière de santé publique ont été mises en place dans de nombreux pays pour atténuer les effets de la pandémie[10]. Pour que les mesures adoptées par les États face à la pandémie aient l’effet voulu sur les femmes et les filles, il est essentiel que celles-ci soient au cœur de ces mesures, qu’il s’agisse d’inclusion, de représentation, de droits, de résultats sociaux et économiques, d’égalité ou de protection.
Il s’agit de remédier à des inégalités qui existent depuis longtemps mais également de construire un monde plus juste et plus résilient, et ce, dans l’intérêt non seulement des femmes et des filles, mais aussi des hommes et des garçons. Les plus touchées par cette pandémie, les femmes seront aussi l’épine dorsale du relèvement dans les communautés. Les politiques publiques auront d’autant plus d’impact qu’elles tiendront compte de ce fait.
[1] https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/human-rights/index.html [2] https://fr.statista.com/statistiques/1101324/morts-coronavirus-monde/#:~:text=Cette%20statistique%20montre%20le%20nombre,d%C3%A9c%C3%A9d%C3%A9es%2C%20dont%2078.965%20en%20France. [3] https://www.theguardian.com/society/2020/mar/28/lockdowns-world-rise-domestic-violence [4] https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/confinement-violences-conjugales-appelez-faites-du-bruit-1807532.html [5] https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15487733.2020.1776561 [6] https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/note_de_synthese_-_limpact_de_la_covid-19_sur_les_femmes_et_les_filles.pdf [7] https://edition.cnn.com/2020/04/02/europe/domestic-violence-coronavirus-lockdown-intl/index.html [8] https://wcaro.unfpa.org/fr/news/limpact-de-la-covid-19-sur-les-violences-bas%C3%A9es-sur-le-genre-en-afrique-de-louest-et-du-centre [9] https://sn.boell.org/fr/2020/11/25/violences-basees-sur-le-genre-dans-un-contexte-de-covid-19-au-senegal [10] Département des affaires économiques et sociales, note de synthèse no 58 « COVID-19: Addressing the social crisis through fiscal stimulus plans » (https://www.un.org/development/desa/dpad/publication/un-desa-policy-brief-58-covid-19-addressing-the-social-crisis-through-fiscal-stimulus-plans/ .
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