« (…) les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis (…) » Préambule du Statut de Rome.
Il existe des actes qui, en raison de leur gravité extrême ou de l’étendue de leurs effets, frappent la société humaine et la conscience collective. Ces crimes portent en fait atteinte à des valeurs et principes dont la communauté internationale doit se porter garante, en raison de l’importance universelle qu’on leur attache[1].
Certains de ces crimes odieux ont été commis notamment au cours des conflits qui ont émaillé le XXe siècle. Nombre de ces violations du droit international sont, malheureusement, restées impunies. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont été institués les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. En 1948, lors de l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de Génocide, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu la nécessité de créer une cour internationale permanente, appelée à se prononcer sur des atrocités semblables à celles qui venaient d’être commises.
Le projet d’instituer un système de justice pénale internationale est réapparu, après la fin de la guerre froide. Alors que les négociations sur le Statut de la CPI suivaient leur cours au sein de l’Organisation des Nations Unies, le monde était témoin de crimes odieux sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a réagi à ces atrocités en procédant, dans les deux cas, à la création d’un tribunal ad hoc. Ces événements n’ont pas manqué de peser, de façon déterminante, sur la décision de convoquer à Rome, durant l’été 1998, la conférence qui a institué la CPI.
Le 17 juillet 1998, une conférence de 160 Etats a créé, sur la base d’un traité, la première cour pénale internationale permanente. Le traité, adopté lors de cette conférence, est connu sous le nom de « Statut de Rome ». Le Statut définit, entre autres, les crimes relevant de la compétence de la Cour, les règles de procédure et les mécanismes de coopération entre les États et la Cour. Les pays qui ont accepté ces règles sont dénommés « États parties » et sont représentés au sein de l’Assemblée des États parties.
Par définition, la Cour pénale internationale (« la CPI » ou « la Cour ») est une cour internationale permanente, qui a été créée en vue d’ouvrir des enquêtes, de poursuivre et de juger des personnes accusées d’avoir commis les crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression[2]. Le premier procès de la CPI, celui de Thomas Lubanga, commence le 26 janvier 2009. Le 14 mars 2012, il est reconnu coupable de crimes de guerre[3]. Il est alors le premier individu condamné par la juridiction. Depuis lors, d'autres individus ont été également condamnés tandis que certains ont été acquittés.
La compétence matérielle de la Cour porte sur quatre types de crimes[4] : génocide : « actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux »[5] ; crime contre l'humanité : « actes [...] commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »[6] ; crime de guerre : « infractions graves aux conventions de Genève de 1949 »[7] ; « autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux »[8] ; « violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 » en cas de conflit armé non international[9] ; « autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international »[10].
A cela, s’y ajoute le Crime d'agression. Il s'agit de « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies »[11].
Seuls des individus peuvent être poursuivis devant la Cour pénale internationale[12]. La compétence à l'égard des personnes morales de droit privé (sociétés par exemple) a été étudiée dans les travaux préparatoires et introduite lors de la Conférence de Rome mais, la proposition n'a pas été retenue en raison de divergences dans les législations nationales[13]. Le Statut de Rome retranscrit ainsi l'une des formules du Tribunal militaire international de Nuremberg selon laquelle : « Ce sont des hommes et non des entités abstraites qui commettent les crimes dont la répression s’impose [...] »[14].
En outre, aucune personne ne peut voir sa responsabilité engagée devant la juridiction si elle « était âgée de moins de 18 ans au moment de la commission prétendue d’un crime »[15]. La Cour n'est compétente que si l'une des trois conditions suivantes est remplie : l'accusé est ressortissant d'un État partie au statut ou qui accepte la juridiction de la cour[16] en l'espèce, le crime a été commis sur le territoire d'un État partie ou qui accepte la juridiction de la CPI en l'espèce, le Conseil de sécurité a saisi le procureur en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Dès lors, la CPI est-elle compétente pour les crimes de terrorisme ?
Lors des négociations relatives au Statut de Rome, les plénipotentiaires ont débattu de la question de l’inscription éventuelle du terrorisme parmi les crimes susceptibles de relever de la compétence de la CPI, mais ils ont pris une décision négative[17].
Le terrorisme en tant que tel n’est ni un crime de guerre, ni un crime contre l’humanité. L’une des raisons en est que la définition du terrorisme n’a pas encore fait l’objet d’un accord international général. Comme on l’a vu plus haut, la question de l’inscription du “terrorisme” dans le Statut de Rome en tant que catégorie de crimes à l’égard desquels la CPI exercerait sa compétence a bien été examinée, mais aucun consensus ne s’était fait au moment de l’adoption du Statut. Le statut de la CPI ne contient en effet pas de dispositions concernant les actes terroristes[18].
En décidant d'exclure le terrorisme de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) au motif que cette infraction n'était pas définie, les Etats ont renoncé, au moins provisoirement, à l'instauration d'une réponse pénale universelle au terrorisme. Les disparités nationales qui en résultent sont préjudiciables tant aux victimes qu'aux auteurs et complices de crimes de terrorisme.
Les actes individuels de terrorisme peuvent toutefois, figurer dans la catégorie des crimes de guerre ou celle des crimes contre l’humanité s’ils réunissent les critères fixés dans les dispositions portant leur interdiction. En outre, par leur caractère excessif et contraire à la loi, certaines réponses des États face au terrorisme peuvent aussi engager une responsabilité pénale individuelle et équivaloir à des actes qui relèvent de la définition des crimes internationaux.
Contrairement à une idée trop fréquemment véhiculée, le crime de terrorisme n'est pas totalement exclu de la compétence de la CPI. Il ne subsiste, en réalité, qu'un "petit" périmètre qui ne supporte pas l'homogénéité de traitement. Cette lacune a de sérieuses répercussions tant sur les droits des victimes que sur ceux de la défense. En effet, la CPI est compétente pour connaître de certains crimes de terrorisme. Il convient de distinguer selon que les actes de terrorisme sont commis en temps de guerre ou en temps de paix[19].
En temps de guerre, le Droit International Humanitaire (DIH) interdit explicitement le recours au terrorisme et, de manière générale, interdit toutes les attaques contre les personnes civiles. La violation de cette disposition constitue une infraction grave au DIH au sens de l'article 85, 3, a) du Protocole I du 8 juin 1977.
Le DIH ne distinguant pas entre crimes de guerre et crimes contre l'humanité, la violation d'une de ses dispositions est susceptible d'être qualifiée soit de crime de guerre soit de crime contre l'humanité[20]. Il convient donc de rapprocher les dispositions du DIH de celles du Statut de la CPI :
aux termes de l'article 5 du Statut de Rome, la CPI est compétente pour connaître des crimes de guerre. L'article 8 2) du Statut précise que : « on entend par "crimes de guerre » :
a) les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève :".
Suit une énumération des actes considérés. Dans cette liste, sont expressément désignés : "i) l'homicide intentionnel ; (…) iii) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé ;" (…), viii) la prise d'otages ;".
b) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, (…) ; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux hostilités etc.
La CPI est également compétente pour les crimes de guerre commis en cas de conflit armé non international :
"c) en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes ci-après commis à l'encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause :"
Etant précisé que ces dispositions ne sont pas applicables aux situations de troubles internes et de tensions intérieures (d), suit une énumération des actes considérés. Dans cette liste, sont expressément désignées :
"i) les atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture ; ii) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants ; iii) Les prises d'otages ;(…)".
En cas de « conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d'un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux » (f) (à l'exclusion des situations de troubles internes et de tensions intérieures), le Statut précise que sont également qualifiés de crimes de guerre.
Cela signifie qu'un acte de terrorisme commis en temps de conflit armé, international ou non international, dès lors qu'il s'attaque à des personnes civiles ou à des populations civiles, entre dans la compétence de la CPI qui pourra donc juger les auteurs de tels actes, sous réserve qu'elle soit compétente ratione temporis et que la situation soit recevable, étant rappelé que la CPI « est complémentaire des juridictions pénales nationales »[21].
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[1] Safinaz JADALIF : Dix ans après l’adoption du Statut de Rome de 1998 Quelques remarques sur les imperfections du fonctionnement de la Cour pénale internationale. Disponible sur https://www.lex-electronica.org/files/sites/103/13-3_jadalli.pdf [2] Mieux comprendre la CPI : https://www.icc-cpi.int/iccdocs/PIDS/publications/UICCFra.pdf [3] Sa responsabilité a été retenue pour les chefs suivants : enrôlement, conscription et utilisation d'enfants-soldats de moins de 15 ans. [4] Article 5 du Statut de Rome. [5] Article 6 du Statut de Rome [6] Article 7 du Statut de Rom [7] Article 8, alinéa (a) du Statut de Rome [8] Article 8, alinéa (b) du Statut de Rom [9] Article 8, alinéa (c) du Statut de Rome [10] Article 8, alinéa (e) du Statut de Rome. [11] Article 8 bis du Statut de Rome. [12] Articles 1 et 25 §1 du Statut de Rome. [13] Anne-Laure Chaumette : « les personnes pénalement responsables ». Disponible sur https://hal.parisnanterre.fr/hal-01661071/document [14] Chiara Blengino, « la position juridique de l’individu dans le statut de la Cour pénale internationale », pp. 153-166 in Mario Chiavario, La justice pénale internationale entre passé et avenir, Paris, Milan, Dalloz, Giuffré, 2003, 398 p. [15] Article 26 du Statut de Rome [16] Statut de la CPI, Article 12, “Conditions préalables à l’exercice de la compétence”. [17] Voir file:///C:/Users/CBS/Downloads/_book_edcoll_9789047431381_Bej.9789004165106.i-442_004-preview.pdf [18] Sébastien Morett : LA JUSTICE INTERNATIONALE À L'ÉPREUVE DU TERRORISME : Défis, enjeux et perspectives concernant la Commission d'enquête internationale indépendante (UNIIIC) et le Tribunal spécial pour le Liban ; 31/03/2011 ; Collections : eCahiers de l’Institut ; [19] Ghislaine Doucet : « TERRORISME : DÉFINITION, JURIDICTION PÉNALE INTERNATIONALE ET VICTIMES ». Disponible sur file:///C:/Users/CBS/Downloads/RIDP_763_0251%20(1).pdf . [20] Voir La répression pénale des violations aux règles du droit international humanitaire ; https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/5fzfmj.htm ; Juan Jose Quintana : Les violations du droit international humanitaire et leur répression: LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE ; https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100009709a.pdf [21] Cf. article 11, article 17 et préambule du Statut.
Très pertinente analyse. J'aimerais me joindre à vous pour dire que l'incapacité de la CPI face aux actes terroristes est une faille des sujets originaires du D.I.
Je proposerai l'insertion de cette responsabilité dans le statut de la CPI.
A cela s'ajoute l'inaptitude du DIH de distinguer les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité...
Quand aux résultats des tribunaux, il faut apprécié les travaux effectués par ses derniers mais cela n'empêche de dire que dans certains cas, c'était la justice des vainqueurs sur les vaincus à cela s'ajoute le non respect des garanties judiciaire des accusés ( Tokyo) et d'autres part, la lenteur des procès comme celui de Serra Léone.