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L'Union Africaine et les changements anticonstitutionnels...


Alors que l’OUA avait entamé un début de réforme dans sa gestion des conflits africains en 1993 à travers la Déclaration du Caire portant Mécanisme de prévention, de gestion et résolution des conflits en Afrique, c’est davantage le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine qui symbolisera la volonté politique de l’Union d’adapter son cadre institutionnel au modèle plus général de la prévention des conflits prônée par l’Organisation des Nations Unies.

L’Union africaine symbolise à cet effet, le passage normatif de la non intervention à la non-indifférence, avec la mise en place d’une architecture institutionnelle sophistiquée. Les signataires de l’Acte constitutif de l’UA (2000) s’engagent, entre autres choses, à respecter les principes démocratiques, les droits de l’homme, l’état de droit et la bonne gouvernance (article 4 (m)), le caractère sacro-saint de la vie humaine (article 4 o) et à condamner et à rejeter des changements anticonstitutionnels de gouvernement (article 4 (p). La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, le protocole relatif à la création du conseil de paix et de sécurité de l’union africaine parlent naturellement le même langage concernant les changements anticonstitutionnels.

Mais l’Acte constitutif entérine surtout un principe fondamental, celui qui confère à l’UA le droit « d’intervenir dans un État sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité » (article 4 h).

Il est donc à souligner que le recours la puissance constitue la dimension novatrice de la construction de la paix et de la sécurité collective à l’ère de l’Union africaine. Ce recours à la puissance s’inscrit dans un background réaliste et découle de la considération générale suivant laquelle, les conflits étant une expression de la force, ils ne peuvent efficacement être résolus que par les moyens de la puissance. Il ne s’agit pas de dire que celle-ci a été inexistante dans la gestion des conflits en particulier et dans les relations internationales africaines en général.

Ce qui est nouveau, c’est l’institutionnalisation et la légitimation de la force en tant qu’expression de la puissance dans la résolution des conflits et l’édification de la paix dans le nouveau contexte de l’Union africaine : il apparaît clairement dans la nouvelle vision de l’Union africaine qu’il ne saurait y avoir de paix durable ni de sécurité collective sans une expression du jeu de la puissance qui institue et garantisse les structures de sécurité, de production et de distribution, bref de réalisation du bien commun. C’est cela qui fait d’ailleurs, la particularité de l’UA (en tout cas en théorie) par rapport aux autres Organisations régionales à travers le monde.

La création de l’UA et de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (l’APSA) a entraîné celle d’un certain nombre d’instances qui forment l’ossature institutionnelle des activités et des interventions de l’UA et des CER (Communautés Economiques Régionales) au quotidien dans le domaine de la paix et de la sécurité en Afrique. L’APSA est diverse sur le plan institutionnel et loin d’être statique. L’APSA et ses institutions, tout en s’appuyant sur les expériences de certaines CER et de structures analogues au sein de celles-ci, fonctionnent comme une plate-forme de coopération et de coordination en interne, avec leurs homologues au niveau des CER et avec des partenaires externes. Cette plate-forme se compose des éléments suivants : le Conseil de paix et de sécurité (CPS), la Force africaine en attente (FAA), le Groupe des Sages, le Fonds pour la paix, le Système continental d’alerte rapide (SCAR).

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est par conséquent l’organe de décision permanent de l’UA pour tout ce qui concerne la prévention, la gestion et la résolution des conflits (Protocole relatif à la création du CPS, article 2 (1)) et la pierre angulaire de l’APSA.

En effet, l’une des principales responsabilités du CPS est de délibérer sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement et de prononcer d’éventuelles sanctions lorsque des coups d’État sont perpétrés. Depuis l’adoption de la Convention de Lomé contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement en 2000, le CPS a eu à prendre de telles décisions à de nombreuses reprises. Avec une suspension immédiate et des sanctions dans la foulée des pays concernés.

C’est le cas entre autres : de la République en Centrafrique (Mars 2003, François Bozizé, aidé par des mercenaires, renverse le président André Kolingba), du Togo (Février 2005, à la mort de Gnassingbé Eyadema, Faure Gnassingbé arrive au pouvoir avec le soutien des militaires et après une réforme controversée de la Constitution) ; de la Mauritanie (août 2005, une junte militaire dirigée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall renverse le président Maaouiya Ould Taya) ; de l’Egypte ( juillet 2013, des soldats menés par le maréchal Abdel Fattah el-Sissi renversent le président Mohamed Morsi) ; du Burkina Fasso ( Septembre 2015, le général Gilbert Diendéré à la tête de militaires renverse brièvement le président de la transition Michel Kafando) ; du Mali (août 2020, des soldats renversent le président Ibrahim Boubacar Keïta après plusieurs semaines de manifestations contre le régime).

Le sujet l’UA et les changements anticonstitutionnels trouve ainsi, toute sa pertinence, au regard des crises politiques que nous venons de traverser notamment Au Tchad. Par le biais de l’écriture, nous tenterons de voir dans quelle mesure, l’UA a failli à ses propres engagements conformément à ses textes pertinents relatifs au sujet que nous intéresse concernant le Tchad par exemple.

En effet, le communiqué de la 996e réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS), le 14 mai 2021, sur le Tchad, semble avoir mis le pragmatisme au-dessus des principes, pourtant non antinomiques dans ce cas de figure. Il faut rappeler qu’un un Conseil militaire de transition (CMT) s’est accaparé le pouvoir, le 21 avril, après le décès du président Idriss Déby Itno.

Or, selon l’article 82 de la constitution tchadienne adoptée en mai 2018 et révisée par une loi constitutionnelle en décembre 2020, en pareille circonstance, c’est le président du Sénat qui devait assurer l’intérim de la présidence. Le Sénat n’étant pas encore opérationnel, l’Assemblée nationale représentait cette même autorité. Si son président renonçait à assurer l’intérim, il fallait se tourner vers ses adjoints par ordre de préséance. Ce schéma constitutionnel n’ayant pas été suivi, il est évident que l’action des généraux du CMT est une opération de changement anticonstitutionnel de gouvernement.

Lors de sa première réunion au sujet du Tchad, le CPS, qui adopte habituellement une position stricte lors de prises de pouvoir par des militaires, a simplement exprimé sa « grave préoccupation » concernant la création du CMT et a « exhorté » les militaires à rétablir l’ordre constitutionnel. Dans sa déclaration, l’organe a évoqué les textes pertinents à cet égard, à savoir l’Acte constitutif de l’UA, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance et la Déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Il a ainsi reconnu que la prise de pouvoir du CMT était bel et bien anticonstitutionnelle.

Le Conseil n’a cependant pas mis en œuvre les conséquences logiques de ce constat, qui aurait dû aboutir à la suspension pure et simple du Tchad des activités de l’UA ou à imposer un délai strict à la junte pour céder le pouvoir. L’on peut ainsi dire que le CPS a de fait approuvé le plan de transition de la junte tchadienne et sa nomination d’un Premier ministre civil. Même si, le CPS a déclaré qu’une prolongation de la période de transition ne serait pas acceptée, et que les membres du CMT ne seraient pas autorisés à se présenter aux élections post-transition.

Il est clair que le double appel lancé par le CPS – d’une part au CMT à se concentrer sur les questions militaires et sécuritaires et d’autre part au gouvernement civil de transition à organiser un dialogue national et à préparer les élections ne tient pas compte de la réalité des dynamiques du pouvoir sur le terrain. Il ne tient pas compte non plus du partage du pouvoir fixé par la feuille de route présentée par le CMT. Les dispositions transitoires actuelles confèrent au chef du CMT une autorité écrasante vis-à-vis des autres institutions de transition, y compris le gouvernement. Il n’est pas non plus certain que les membres du CMT accepteront de ne pas se présenter aux prochaines élections.

La décision du CPS concernant le Tchad contraste fortement avec ses positions antérieures. En effet, depuis l’adoption de la Déclaration de Lomé en 2000, le CPS sanctionne de façon presque automatique les militaires qui prennent le pouvoir. De fait, à chaque fois que l’armée ou un groupe armé s’est clairement emparé du pouvoir au cours des 20 dernières années, le CPS a suspendu le pays de ses activités. La complaisance dont elle témoigne envers le CMT tchadien place l’UA en porte-à-faux avec ses propres principes. Elle ternit sa réputation de garante stricte du constitutionnalisme en Afrique et crée un précédent préjudiciable pour la norme continentale existante contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Alors, comment expliquer cette position contradictoire du CSP ? On peut de manière générale supposer que la « diplomatie militaire Tchadienne agissante » a lourdement pesé dans la balance. Il faut rappeler quand même que le défunt chef d’Etat était un allié très important, un pivot capital dans la stratégie de Paris et de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

D’ailleurs, dans sa déclaration du 14 mai, le CPS note que le Tchad a été à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme au Sahel et dans le bassin du lac Tchad. Il souligne également que le pays constitue, de par sa position géographique, une barrière naturelle qui, si elle venait à céder, exposerait davantage l’Afrique de l’Ouest, voire l’Afrique centrale, au chaos émanant de la Libye. Il apparaît donc que la sécurité du Tchad et de la sous-région a primé sur le respect du principe du rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Le communiqué du CPS salue, à juste titre, la formation rapide, dès le 2 mai, d’un gouvernement de transition dirigé par les civils. Mais l’essentiel du document s’aligne sur les engagements pris par le CMT lui-même. Or, tous les instruments pertinents de l’UA sont unanimes sur le fait de prendre des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel, et cela n’est pas contradictoire avec l’accompagnement des autorités de la transition.

Si l’UA n’a pas ménagé ses efforts pour décourager les coups d’État et autres formes de changements anticonstitutionnels de gouvernement, force est de constater qu’elle n’en a pas suffisamment fait pour en éradiquer les causes profondes. L’organisation devrait donc envisager d’élargir sa définition de ce qui constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement.

Les manipulations électorales et les amendements constitutionnels effectués par des dirigeants afin de se maintenir au pouvoir ont créé des conditions propices à la délégitimation de certains chefs d’État. Cette situation encourage les tentatives de déloger par d’autres moyens les régimes autoritaires installés depuis de nombreuses années.

L’UA doit se montrer plus prompte à s’impliquer dans la gestion de ces problèmes de fond et ne pas se contenter de se prononcer uniquement lorsque survient un changement anticonstitutionnel de gouvernement. C’est en s’attaquant aux conditions matérielles qui mènent à des coups d’État que l’organisation obtiendra des résultats plus probants et plus durables en matière de paix et de stabilité sur le continent. Malgré tout le pragmatisme dont elle doit faire preuve, l’UA ne peut se permettre de tergiverser lorsqu’il s’agit de faire appliquer les normes essentielles qu’elle a établies et pour lesquelles elle est reconnue.

En définitive, l’UA se doit de veiller sur l’application cohérente de ses propres normes sur la bonne gouvernance. Celle qui concerne le changement ou le maintien anticonstitutionnels de gouvernement, qui a montré son efficacité, doit être protégée et même renforcée.

L’organisation continentale doit véritablement faire preuve de responsabilité pour « une Afrique intégrée, prospère et pacifique, conduite par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

Références:

L’Acte constitutif de l’UA ;

La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ;

La Déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement ;

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité numéro 135 mai 2021. Disponible sur https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/uploads/Rapport-sur-le-Conseil-de-paix-et-de-se%CC%81curite%CC%81-135.pdf ;

Sophie Desmidt et Volker Hauck : Gestion des conflits dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Disponible sur https://ecdpm.org/wp-content/uploads/DP211-Gestion-conflits-APSA-Desmidt-Hauck-ECDPM-juillet-2017.pdf ;

Yves Alexandre CHOUALA : PUISSANCE, RÉSOLUTION DES CONFLITS ET SÉCURITÉ COLLECTIVE A L’ERE DE L’UNION AFRICAINE : Disponible sur https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/19_288-306.pdf ;

Blaise Tchikaya Citer : la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Disponible sur https://www.persee.fr/docAsPDF/afdi_0066-3085_2008_num_54_1_4040.pdf;

BAKARY SAMBE : ‘’LE SAHEL VA RESSENTIR L’IMPACT DE LA DISPARITION DE DÉBY’’. Disponible sur http://aps.sn/actualites/article/bakary-sambe-le-sahel-va-ressentir-l-impact-de-la-disparition-de-deby ;

Issaka K. Souaré : Face au Tchad, l’Union africaine doit durcir le ton. Disponible sur https://www.jeuneafrique.com/1181047/politique/tribune-face-au-tchad-lunion-africaine-doit-durcir-le-ton/ ;


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